Nice to meet you, I suppose. + Persephone

La journée avait été si longue pour l’enfant d’Hadès qu’il envisageait sérieusement de rentrer attraper  ses affaires et disparaître. L’ennui était une chose bien difficile pour Nico. En tant que demi-dieu, il était biologiquement conçu pour être tout le temps en mouvement et toujours prêt à se battre pour sa survie. Malheureusement, ce n’était pas quelque chose que l’adolescent pouvait ignorer. Il n’existe pas de bouton on / off. C’est inné en quelques sortes, on ne peut pas lutter contre l’instinct et contre la petite voix qui souffle que le danger arrive dans sa tête. Nico en avait parfaitement conscience et même s’il aimait sa nouvelle vie plus que tout, le fils d’Hadès ne pouvait s’empêcher de prêter attention à cette petite voix. Une partie de lui continue de s’attendre à ce que le pire arrive n’importe quand et à être de nouveau balancé dans une guerre quelconque. C’était sans doute la raison qui le poussait à garder un sac rempli de toutes les affaires qui pourraient lui être utile quelque part dans sa chambre. Il était prêt à fuir dès qu'il le faudrait, même si dans le fond, il n’était pas certain qu’il existe un endroit où il pourrait fuir.

Les pensées du jeune homme continuaient de se bousculer dans son esprit, les unes après les autres, cherchant à le perturber et à le pousser à la dérive alors que la boutique restait calme et silencieuse. Bientôt, les passants qui profitent du beau temps pour sortir se baigner à la plage ne tarderont plus à entrer dans la petite échoppe pour acheter des glaces et se rafraîchir un peu. Il savait qu’il fallait qu’il profite de ce moment de calme pour réussir à finir l’ouvrage qu’il avait acheté un peu plutôt en ville. Un exemplaire des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. Nico avait déjà observé Regulus plusieurs fois avec ce livre à la main et poussé par la curiosité, il avait fini par se plonger dedans lui aussi. Ce n’était pas simple de suivre avec beaucoup d’attention sa lecture, bien souvent, il se perdait à la moindre petite distraction et devait recommencer à lire la page en entiers pour retrouver le passage qu’il lisait. Néanmoins, il avait sincèrement envie d’essayer de finir ce livre pour avoir un sujet de conversation plus intéressant avec son collègue que le parfum des glaces, la météo ou la plomberie.

Finalement, il attrapa l’ouvrage qu’il gardait sous le contoire et se replongea dans sa lecture. Il était tout seul encore pour quelques heures et n’avait pas envie d’être surpris par Regulus en train de lire le même livre que lui. Ça serait presque lui donner de l’intérêt, et ça, ce n’était pas envisageable. Il ne fallait surtout pas que le sorcier s’imagine un seul instant que le demi-dieu pouvait lui trouver le moindre intérêt. Donner de l’importance aux autres, c’est se montrer vulnérable, après tout, et il n’était pas prêt à être vulnérable le petit Nico. Il n’était pas prêt à reconnaître non plus que ce qu’il préférait le plus dans son poste au glacier, c’était de travailler en binôme avec Regulus. Absorbé dans sa lecture, il ne prêtait presque plus attention à la salle vide. Il était encore un peu tôt pour que la clochette résonne, se disait-il. Néanmoins, elle finit par tinter, laissant un client entrer dans la boutique.

« Bonjour, je suis à vous dans une minute. » Dit-t-il rapidement en glissant rapidement le livre sous le comptoir à nouveau.  « Qu’est-ce que je peux vous servir ? »

Les trois mousquetaires, si ce n’était pas un livre qu’aurait choisi Nico à l’origine, c’était une lecture passionnante pour le demi-dieu. Alexandre Dumas avait réussi à le conquérir en seulement quelques chapitres, et lui donnait envie de se plonger à cœur perdu dans sa lecture. Plus encore, l’ouvrage qu’il tenait entre ses mains donnait sincèrement envie à l’enfant d’Hades de lire plus souvent des romans. Il faut dire que s’il n’avait pas eu cette forme particulière de dyslexie bien propre aux demi-dieux et un trouble de l’attention qui va avec, le jeune homme aurait sans doute été un très grand lecteur. Il y avait tout ce qui l’aimait dans les livres. Des histoires épiques remplies d’aventures, des trésors inimaginables, de la magie et de la romance tout ça seulement dans le but de transporter le lecteur et de l’emmener pour quelques pages dans un univers de rêve et de féerie. S’il n’était pas l’enfant d’Athena ou celui d’Apollon, Nico se perdait à penser qu’il aurait aimé être capable d’écrire des livres comme ça, lui aussi.

Seulement, lui était un demi-dieu, et le quotidien d’un demi-dieu, ce n’est pas l’écriture ou l’art. Son quotidien, c’était de rester en vie, lutter pour survivre, se battre avec des monstres toujours plus horribles les uns que les autres et recommencer sans arrêt. Quand il pensait à tout ça, Nico pouvait parfois être si défaitiste concernant la possibilité d’une fin heureuse pour lui qu’il aurait tendance à s’imaginer qu’il serait incapable d’en trouver une pour des personnages aussi. Prenant une grande inspiration, le jeune homme tourna une page de plus. Qu’importe, finalement, de ce qu’il pensait de ses capacités à relativiser. S’il lisait ce livre, c’était pour comprendre Regulus, essayer de savoir ce qui pouvait tant lui plaire quand il souriait en tournant lui-même les pages de son propre livre et peut-être se rapprocher de lui autrement qu’en parlant plomberie.

La sonnette de la porte retentit dans la boutique et après avoir fini la phrase qu’il lisait, Nico glissa doucement son ouvrage sous le comptoir en accueillant une nouvelle cliente. Il était encore un peu tôt, et en dehors de la jeune femme devant lui et de lui-même, il n’y avait personne d’autre. Le petit sourire qu’il prenait pour accueillir les clients se perdit peu à peu. S’il ne connaissait pas la personne qui était face à lui, elle avait cette aura qu’il ne connaissait que trop bien et qu’on reconnaissait facilement aux divinités. Un peu comme si la personne en face de lui pouvait claquer des doigts et le faire disparaître à tout jamais lui aussi. Doucement, et très prudemment il s’approcha de la vitrine et prit sa cuillère pour servir les deux parfums.

« Est-ce que vous préférez une coupelle ou un cornet, pour la glace ? » Demanda-t-il toujours aussi prudemment.

Il ne put retenir un frison à la mention de grenade, cela dit. La dernière fois qu’il avait été question de divinité et de grenade dans sa vie, c’est sa belle-mère, Persephone, qui était impliquée. S’il savait qu’il existait une version d’Hades et de son épouse à Nemaia, Nico n’était pas pressé de les rencontrer et la simple idée qu’il puisse avoir face à lui la grande Persephone, ça lui donnait la nausée. Il espérait sincèrement que, peu importe qui elle était, cette femme prendrait seulement sa glace et s’en irait sans rien lui dire de plus, sans briser son quotidien, et sans le transformer en une quelconque fleur.

Le frison qui parcourut Nico à l’évocation de la grenade ne semblait pas vouloir disparaître. Un peu comme une sensation de picotements dans tout son corps qui le laissait en alerte. Il avait essayé d’être le plus calme et courtois possible pour éviter de mettre en colère la divinité face à lui, mais il ne pouvait cacher son inquiétude.

« Voilà pour vous. » Dit-il en tendant lentement la coupelle qu’il avait rempli avec une boule de glace à la vanille et une à la grenade.

Le jeune homme observa silencieusement la brune prendre la coupelle et s’éloigner pour s’installer et ouvrir son ordinateur sur une des tables dans la petite boutique. Lentement, il attrapa le livre qu’il avait posé en entendant la clochette sonné et essaya de reprendre sa lecture. Néanmoins, même si les mots d’Alexandre Dumas l'intéressaient toujours autant et qu’il était toujours autant désireux de pouvoir échanger à ce sujet avec Regulus, ce n’était au Trois mousquetaires que l’esprit de Nico réfléchissait. Non, son cerveau était pleinement concentré sur la divinité devant lui, cherchant à se rassurer. Sans doute pas assez discret, il releva les yeux plusieurs fois de son ouvrage pour s’assurer qu’elle était toujours assise et ne le reposa qu’une fois qu’elle se leva. Le parfum qui venait peu à peu remplir la pièce ne laissa plus aucun doute possible à Nico.

« Pas plus que pour une déesse. » Se risqua-t-il à répondre. « Persephone, je me trompe ? Je crois que vous avez déjà fait la rencontre de l’un de mes amis, Percy Jackson. »

Le courage du jeune homme n’avait d’égal que son impertinence. Il savait qu’il ne devrait pas être aussi direct et prendre le temps de réfléchir un peu plus à ce qu’il allait dire pour ne froisser la déesse mais c’était plus fort que lui. Nico n’avait pas envie de laisser à Persephone - si c’était bien elle - l’opportunité de jouer au jeu des divinités qu’il avait connu. Elle n’aurait pas l’occasion de se montrer impressionnante ou menaçante s’il se montrait assuré, se disait-il. Enfin, peut-être qu’il faudrait quand même éviter d’attirer les foudres de cette version de sa belle-mère s’il ne voulait pas devenir un vulgaire tournesol, ou tout autre chose qui pourrait inspirer Persephone sur le moment.

« Maintenant que les présentations sont faites, peut-être pourriez-vous me dire ce qui vous a poussé à venir me voir ? »

Car il en était certain, elle avait quelque chose en tête. Les divinités ont toujours quelque chose en tête. S’il avait d’abord cru qu’elle n’était vraiment venu que pour profiter d’une glace par un jour de forte chaleur; Nico espérait maintenant qu’elle n’allait pas se mettre à réciter des vers pour l’envoyer crapahuter dans tout Nemaia à la recherche d’une chose quelconque à cause d’une prophétie quelconque.

Les dieux n’avaient jamais été tendres avec Nico. Ils n’avaient jamais pris le temps de se soucier de lui, de ses états d’âmes, de ses traumatismes… Non, il n’était pour eux qu’un instrument et rien de plus. Son propre père avait un jour dit qu’il regrettait qu’il soit encore en vie et qu’il aurait aimé qu’il meurt à la place de sa grande sœur. La seule raison pour laquelle il respirait encore et qu’il n’avait pas déjà été assassiné par Zeus, c’était parce qu’il était utile pour les stupides prophéties qui ne cessaient de pleuvoir sur Percy Jackson et ses proches. A croire qu’Apollon, Clotho, Lachésis et Atropos ne pouvaient pas trouver d’autre personne à qui venir balancer leurs horreurs. Pourquoi fallait-il que ça soit toujours sur eux ? Comme si finir sa vie dans d'atroces souffrances après des années à essayer d’affronter les traumatismes et autres problèmes que les dieux avaient causés était une sorte de récompense ultime. Même en ayant vu les Enfers et en ayant foulé les champs Elysée Nico n’était pas certain que tout ça en valait vraiment la peine.

Loin d’être à l’aise face à Persephone et d’autant plus méfiant parce qu’il connaît le caractère changeait de sa belle-mère et à quel point elle peut le détester seulement parce qu’il existe, le demi-dieu était particulièrement attentif à chacun des gestes que cette version de la déesse faisait. Si elle ne semblait pas être sur le point de le changer en pissenlit, la première expérience - et la deuxième - qu’il avait eu quand il avait été changé en fleur lui suffisait. Il n’avait pas envie de réitérer l’expérience. Non, tout sauf ça. Il préférait encore s’embrocher sur sa propre épée. D’ailleurs, elle était où son épée là tout de suite ? Même si ce n’était toujours pas une menace qu’il avait face à lui et qu’il avait parfaitement conscience qu’une épée ne le servirait à rien, Nico se réprimanda de l’avoir laissé bien sagement dans son casier.

« Nico Di Angelo » Dit-il pour répondre à une question qui n’avait pas été posée.  « Fils d’Hadès. »

Toujours aussi méfiant et loin d’être prêt à faire confiance, Nico se radoucit malgré tout un peu. La déesse du printemps avait raison sur un point : elle n’était pas la Persephone qu’il connaissait. L’adolescent avait trop souvent été jugé sur ce qu’il était avant même qu’on apprenne à le connaître pour se permettre de continuer ainsi longtemps. Néanmoins, il continuait à douter de la venue de la jeune femme juste pour manger une glace et écrire sur son clavier d’ordinateur. Malheureusement, ça, il ne pourrait certainement pas se l’enlever de la tête tout de suite. Les dieux n’étaient jamais juste doux et gentils. Il leur fallait toujours une raison pour tout ce qu’il faisait et cette fois encore, il était certain que quelque chose se cachait derrière tout ça.

« La Persephone que je connais aimerait me voir mort seulement parce que j’ai eu l’audace de venir au monde, vous m’excuserez d’être un peu méfiant. » Avait-il prononcé sur un ton bien trop méfiant.  « J’ai conscience que vous n’êtes pas cette déesse là, mais j’ai un peu de mal à croire qu’il peut exister une version de Persephone qui peut me vouloir du bien  »

Et puis les mots de la jeune femme finirent enfin par le frapper. Fronçant les sourcils et baissant totalement sa garde l’espace d’un court instant, il repit.

« Vous auriez aimé que je sois l’enfant de votre mari ? » Légèrement incrédule, le demi-dieu avait l’impression d’avoir imaginé cette partie du discours de la déesse. « Pourquoi ? »  

S’il était toujours méfiant, il y avait quelque chose que Nico pouvait comprendre plus que n’importe qui d’autre : le manque. On lui avait arraché sa grande sœur alors qu’ils n’étaient encore des enfants et qu’il n’avait qu’elle en ce monde. La seule personne qu’il aimait et qui était capable de l’aimer lui aussi. On lui avait enlevé brutalement sans qu’il ait le temps de lui dire au revoir. Certes, Persephone ne souffrait pas du deuil d’Hades et n’aurait probablement jamais à le faire mais l’absence de son mari devait être une torture psychologique énorme pour la jeune femme. Si le demi-dieu n’était toujours pas certain de pouvoir faire confiance à la déesse, il se radoucit malgré tout. Ce n’était pas de la faute de cette Persephone s’il avait souffert. Elle n’avait commis que l’erreur de penser qu’il pouvait avoir un lien avec une autre version de son père.

« Je suis désolé. » Finit-il par dire. « Hades peut parfois être cruel mais c’est un bon père la plupart du temps. Enfin, mon père n’est pas votre époux mais je peux comprendre qu’il vous manque. Sans aucune offense, dans mon univers, il est certainement le plus aimant des dieux. »

Enfin, il restait tout de même celui qui aurait préféré le voir mourir à la place de Bianca, mais à côté de Zeus ou Poseidon, il pourrait gagner le prix du père du millénaire sans hésitation. Il faut dire que la barre n’était pas très haute.

« Moi aussi, je suis seul ici. C’est pour ça que je suis un peu méfiant. Les dieux ne sont pas cléments avec les demi-dieux d’où je viens. J’ai conscience que vous n’êtes pas cette Persephone, et je suis désolé d’avoir été aussi brusque. »

Nico ne s’imaginait pas de la compassion ou de la tendresse venant de la part de la jeune femme et il n’en attendait pas. S’il avait présenté les choses ainsi, c’était seulement parce qu’il avait réalisé que la déesse était sincère et ne cherchait qu’à se rapprocher de ce qu’elle avait perdu, même si c’était que de très loin et indirectement. En soi, c’était également quelque chose qu’il pouvait comprendre. Le besoin irrationnel de s’accrocher au peu qu’on a encore parce que le sol semble se dérober sous ses pieds, c’était quelque chose qu’il avait trop souvent connu. Maintenant, il préférait fuir que d’espérer, parce que personne n’était capable de l’aimer, lui, le fils d’Hades.