I was in a Getaway Car + ft. Jeremiah

Des gueules de bois, Conrad en avait connues. Sauf qu’habituellement, il avait droit au colmatage sur le canapé et au remède miracle de Jerem qui était presque aussi imbuvable qu’il pouvait être efficace. Et donc, généralement, il ne se réveillait pas sur quelque chose de dur, qui était en réalité une route, trempé de sueur sans savoir de quelle façon il était arrivé là. Surtout qu’habituellement, il se souvenait toujours de tout - même s’il lui était arrivé de dire le contraire. Les yeux ouverts et dirigés vers le ciel clair de ce début de matinée, Connie essayait de remettre en ordre ce qu’il se passait dans sa tête. Parce qu’il y avait clairement un problème dans l’équation. Il ne se souvenait pas d’avoir bu, encore moins au point d’avoir un mal de crâne aussi prononcé ce matin-là. La dernière chose dont il se souvenait, c’était Jeremiah et Belly. Et ces deux mots - ces deux noms - étaient déjà beaucoup trop douloureux pour qu’il ne prenne la peine de penser aux détails qui se cachaient derrière.

Le mieux était donc sans doute de ne plus penser à ça et de se lever de cette route histoire de ne pas finir écraser. Même si sa vie était loin d’être semblable à un parc d’attraction ces derniers temps, le brun n’en était pas non plus arrivé au point de vouloir y mettre fin. Et même si l’idée ou l’envie lui venait, il ne le ferait pas. Tout simplement parce qu’il ne pouvait pas faire ça à Jerem, et cela peu importait l’état de leur relation. Jamais il ne pourrait se pardonner de l’abandonner encore une fois. Après être couché, Conrad se retrouvait alors assis sur cette route, et regardait autour de lui pour essayer de savoir où il se trouvait. Sauf qu’il ne reconnaissait rien. Il y avait bien quelques bâtiments autour de lui, mais aucun qui ne lui était familier, ce qui faisait que Connie se posait encore plus de questions. Et qu’il se demandait s’il n’avait pas été drogué, au final. Sensation pas du tout agréable qui l’avait poussé à se relever complètement, même s’il se trouvait toujours en plein milieu de cette route.

C’est quoi ce bordel ?

Il se serait sans doute posé cette question pendant un bon moment si cette voiture bien précise et particulièrement familière ne venait pas de s’arrêter devant lui. La voiture de son frère, dont la portière s’ouvrait pour laisser justement apparaître Jerem qui semblait tout aussi surpris que lui. Et aussi… Différent, sans que Conrad puisse savoir encore à quel point. Mais quelque chose avait changé chez son frère, même s’il n’arrivait pas à mettre la main dessus.

Jerem ? On est où ?

Parce que c’était la question qui l’inquiétait le plus, dans le fond, vu que son frère allait bien. Ou plutôt, la question dont il avait le moins peur de recevoir la réponse. Interroger Jeremiah à propos de Belly ne l’emballait pas des masses, parce qu’il n’avait pas tellement envie d’avoir la réponse. Encore moins de savoir ce qu’il s’était passé entre eux en l’espace d’une seule nuit. Parce que beaucoup de choses pouvaient se passer, Connie était justement bien placée pour le savoir.

Rien n’avait de sens dans ce qui était en train de se passer. En tout cas, Conrad n’y comprenait strictement rien, et il se demandait même s’il n’était pas en train de faire un rêve bizarre. En même temps, se retrouver au milieu d’un endroit qu’il ne connaissait pas, avec un mal de crâne et sans se souvenir de comment il était arrivé ici, il y avait de quoi se poser des questions. C’était d’ailleurs la dernière partie qui le rendait dingue. Connie n’avait jamais rien oublié - même à certains moment où il aurait préféré - peu importait la quantité d’alcool qu’il engloutissait, il se souvenait toujours de tout. Et là, il ne se souvenait même pas d’avoir bu. Est-ce qu’il devait envisager la possibilité d’avoir été drogué? Une possibilité qui lui donnerait presque envie de vomir pour avoir été aussi con, une fois de plus.

Voir Jeremiah sortir de sa voiture était encore plus surprenant, parce qu’il ne s’attendait pas à le voir. Après tout, il était censé être avec Belly, l’avoir accompagné à son tournoi de volley et faire il ne sait quoi d’autre qu’il ne voulait pas savoir. Et les derniers souvenirs de Connie se situaient à Cousins. Sauf qu’ils n’étaient à aucun de ces deux endroits, que Belly n’était pas là et que son frère paraissait un peu trop content de le voir vu tout ce qu’il s’était passé dernièrement. Évidemment, Conrad n’était pas contre cet élan d'enthousiasme de la part de son frère, ni contre l'étreinte qu’ils étaient en train d’échanger et qui lui semblait bien plus chaleureuse qu’à l'accoutumée. Mais il se posait encore plus de questions sur ce qui était en train de se passer. Sauf que Jerem ne semblait pas vouloir lui répondre tout de suite.

Ouais… Ok. »

Il savait que ce n’était pas la peine d’essayer d’avoir des réponses à ses questions maintenant, et son frère avait sans doute raison de ne pas vouloir entamer cette conversation en plein milieu de la route. Puis, le mal de crâne de Connie l’empêchait aussi de protester, et faisait qu’il était un peu plus rassuré de monter dans la voiture de son frère. Qui était vide de toute autre présence.

Belly est pas avec toi ? Je croyais que tu la raccompagnais… Et qu’est-ce que tu fais avec ta voiture, d’ailleurs ? T’as fais quoi de la mienne ?

Ce n’était que le début des nombreuses questions qui franchiraient la barrière des lèvres de Conrad. Et il espérait que Jeremiah répondrait à une partie d’entre elles sans attendre d’être arrivé pour prendre le petit déjeuner. Surtout parce qu’il avait l’impression d’être le seul à vraiment être mal à l’aise dans cette voiture alors que ça ne devrait pas être le cas. Même s’il s’était effacé pour son frère, les événements des mois passés étaient toujours là. Et même si les choses s’étaient arrangées entre eux, ça lui semblait assez étrange que Jerem soit aussi facilement passé à autre chose comme si rien ne s’était passé. Il avait clairement loupé un épisode - voire une saison complète - sans savoir comment.

En d’autres circonstances, Connie serait sans doute resté sur le bord de la route en refusant de monter dans la voiture jusqu’à avoir une explication. Mais il était beaucoup trop fatigué et à bout de nerfs pour tenter la moindre protestation. Et surtout, il faisait assez confiance à son frère pour savoir qu’il ne tournerait pas trop autour du pot, et qu’il y avait une explication logique derrière tout cela, même s’il n’en avait pas l’impression sur l’instant. Il était donc monté dans la voiture et n’avait pas pu s’empêcher de constater que Belly n’était pas là. Et que son frère avait sa voiture alors qu’il était reparti avec la sienne. De quoi le faire se poser encore plus de questions. Et lui faire froncer les sourcils quand Jerem l’informa que Belly se trouvait chez elle et qu’elle avait sa voiture. Mais combien de temps il avait été dans les vappes, au juste?

Jerem, sérieusement, c’est quoi ce bordel ?

Il avait l’impression bizarre d’avoir passé des mois dans le coma sans s’en rendre compte et de se réveiller au milieu d’un mauvais film. Un film sacrément nul, puisqu’il suivait sa vie, une étoile sur cinq, vraiment. Et quand Jeremiah se lança dans ses explications, il n’en était pas moins perdu. Ses mots avaient du sens, évidemment, mais pour Connie, mis les uns derrière les autres, il n’arrivait pas à les comprendre. Ou bien il ne le voulait pas, et là c’était encore une autre histoire.

Tu me fais une mauvaise blague ? Steven est dans le coup aussi, c’est ça ?

Il espérait que ce soit le cas, mais en regardant l’expression qui s’affichait sur le visage de son frère, Conrad ne put que constater qu’il ne plaisantait pas et qu’il était totalement sérieux. Même si Jerem pouvait être un très bon comédien, Connie arrivait à voir quand il mentait ou qu’il préparait une blague, et là ce n’était pas le cas. Tous les mots qu’il venait de sortir étaient 100% sérieux, et ça ne rendait la situation que plus inquiétante.

Attends… Comment… Deux ans ? Et il n’y avait que vous deux ?

Ce qui n’était sans doute pas le détail le plus important de ce que Jerem lui avait dit, mais ça l’était pour Conrad. Il avait besoin de se préparer à ce qu’il allait voir et ce qu’il allait apprendre d’autre avant de se retrouver face à la réalité. Même si ce ne serait pas facile à digérer dans n’importe quel cas, il pourrait au moins tenter de sauver les apparences avec un minimum d’informations. Parce qu’il avait promis à Belly qu’il ne serait pas un obstacle dans sa relation avec Jeremiah, et il comptait bien tenir sa promesse.

La mauvaise blague aurait été tellement plus facile à avaler. Même s’il lui en aurait sans doute voulu un peu et qu’il l’aurait traité d’idiot, ça aurait été bien loin de tout ce qu’il allait devoir encaisser au cours de cette conversation. L’avantage était sans doute que ce soit son frère qui lui raconte tout cela. Après la promesse qu’ils s’étaient faite tous les deux, Conrad savait qu’il pouvait lui faire confiance. Et puis, de toute manière, il serait bien incapable de lui inventer un mensonge aussi gros qu’un problème d’espace-temps. Jerem avait beau avoir un humour débordant, il n’aurait pas pu se retenir de rire aussi longtemps. Et l’expression qui était affichée sur son visage était loin de la joie. Très loin, même.

Vraiment ?

Son ton avait été un peu plus froid que ce qu’il aurait voulu. Disons que Connie avait un peu de mal à imaginer qu’il ait pu manquer à Belly après ce qu’il s’était passé, et cela même s’ils avaient pris la décision de rester “amis”. Il savait, dans le fond, que le fait de ne pas l’avoir vu pendant deux ans l’avait sans doute arrangé pour ne pas culpabiliser d’avoir choisi Jeremiah. Et il ne pouvait d’ailleurs pas vraiment lui en vouloir non plus. Ce n’était pas de la rancœur qu’il ressentait à leur égard, mais plutôt de la culpabilité venant de lui. Parce que s’il avait réussi à faire face à tout ce qu’il s’était passé, ils n’en seraient sans doute pas là aujourd’hui.

Pardon, c’est juste que… J’ai du mal à trouver du sens derrière tout ça.

Et il aurait sans doute besoin de temps pour digérer toute cette histoire, justement. Une histoire de plus alors qu’il n’avait même pas encore eu le temps d’encaisser la dernière. Après, c’était ce qu’on attendait de lui. Il était l’aîné, il se devait d’encaisser, de surveiller et de protéger les plus jeunes, et cela même s’il ne s’en sentait pas capable. Du moins, ce serait ce que son père dirait, et sans doute Laurel aussi. Encore une chose qu’il garderait pour lui, comme toujours.

Attends. Connie attrapa le bras de son frère avant qu’il ne descende de la voiture. Belly est-ce que… Elle va bien ? Parce que j’ai l’impression que tu tournes un peu autour du pot depuis tout à l’heure.

Et oui, il avait l’impression que Jerem lui cachait quelque chose, ou qu’il avait du mal à lui parler de quelque chose, sans savoir ce que c’était, évidemment. Il était resté vague jusque-là, d’où le fait que Connie avait sans doute du mal à comprendre les choses de son côté.

Heureusement que Jerem avait l’humour facile et cette aisance à détendre l’atmosphère. Dans un autre contexte, il aurait sans doute réussi à arracher un sourire à Conrad. Sans la gueule de bois - ou peu importe ce qui avait rendu Connie dans cet état -, il y serait sans doute parvenu. En tout cas, ça avait été suffisant pour qu’il regrette presque aussitôt le ton qu’il avait eu en lui répondant. Parce qu’il n’avait pas voulu être si froid, il n’avait pas voulu avoir l’allure du frère qui lui en voulait parce qu’il n’avait pas réussi à avoir la fille. Surtout que, dans le fond, si Belly était passée à autre chose, c’était principalement de sa faute. Il avait merdé, et il ne pouvait pas en vouloir à Jeremiah d’avoir sauté sur l’occasion, parce qu’il aurait probablement fait la même chose à sa place. Tout comme il ne pouvait pas en vouloir à Belly d’en avoir eu assez et d’avoir baisser les bras. S’il devait en vouloir à quelqu’un, c’était à lui-même.

Ouais, avec deux ans d’avance.

Une information qu’il avait encore du mal à assimiler, d’ailleurs. Il n’arrivait surtout pas à comprendre comment cela pouvait être possible, étant donné que pour lui, ça ne faisait que quelques heures qu’il avait quitté ce motel. Et évidemment, il se posait des questions sur ce qu’il s’était passé entre eux. Mais plus important encore, il voulait savoir si Belly allait bien. Ce serait toujours le cas, parce que peu importait ce qu’il pouvait se passer entre eux, il s’inquiéterait toujours pour elle, c’était plus fort que lui. Il l’avait dans la peau, et il ne pouvait rien y faire. S’il y avait bien quelqu’un qui pouvait le comprendre, c’était sans doute son frère.

Parce que les deux sont pas liés, au final ?

Encore une fois, il regrettait sa question à peine quelques secondes après l’avoir posé. Conrad n’avait aucune envie de se disputer encore une fois avec son frère, pas après tout ça. Il voulait vraiment que les choses s’arrangent entre eux et comme toujours, à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, il avait l’impression de faire tout foirer.

Allons manger avant que je me transforme comme une potentialité de petit déj’ pour toi. T’as ton regard de guetteur de bouffe.

Et puis, lui aussi mourrait de faim, mine de rien. Il ne savait pas depuis quand il n’avait pas avalé quelque chose. Enfin, depuis le motel, évidemment. Mais il ignorait depuis combien de temps il l’avait quitté. Peut-être que cela faisait deux ans et qu’il ne s’en était pas rendu compte. Avec toutes les autres nouvelles qu’il avait déjà reçues, une dans le même genre ne l’étonnerait sans doute pas. Et pourtant, il était loin d’être au bout de ses surprises.

Connie garda le silence, surtout pour éviter de dire quelque chose qui pourrait blesser son frère. Après tout, de son point de vue, d’où il venait, du moment où il venait, Jeremiah était déjà sa seule famille, d’une certaine manière. Leur mère était morte, et cela faisait déjà un certain temps qu’il ne comptait plus sur leur père, et cela même après qu’il les ait aidé à garder la maison de Cousins. Mais son frère n’avait sans doute pas envie d’entendre cette vérité. Lui-même n’avait pas envie de la dire, en réalité, sans doute parce que tout cela était encore trop frais dans son esprit. Il se contenta donc de hocher la tête et de laisser la conversation dériver naturellement vers autre chose. Comme le fait, par exemple, d’aller manger un morceau avec que Jerem n’ait envie de le cuire sur le bord de la route pour se nourrir.

On ne pouvait d’ailleurs pas vraiment dire que les deux frères avaient changé de conversation, étant donné qu’un certain silence - pesant, évidemment - s’était installé entre eux. Même si Conrad était un adepte des moments calmes - et on pouvait dire qu’ils étaient rares, avec Jeremiah - celui-ci le mettait tout de même mal à l’aise. Mal à l’aise au point où ses yeux s’étaient fixés sur le menu, sans qu’il ne le lise réellement. Il était ailleurs, comme s’il était toujours chez eux, comme si, dans le fond, il ne réalisait pas ce qui était réellement en train de se passer. Il n’y a que quand Jerem repris la parole qu’il releva les yeux pour croiser le regard de son frère, gardant le silence pendant quelques secondes, avant que l’information qu’il venait de lui donner n’atteigne totalement son cerveau légèrement embrumé.

Je suis désolé…

En réalité, il ne savait pas trop quoi dire, ni quoi en penser. Surtout que cette information ne le réjouissait pas tellement. Même s’il aimait sincèrement Belly et qu’il avait été - était toujours - blessé par le choix qu’elle avait fait, il le respectait. Parce que c’était ce qu’elle voulait elle, et qu’elle méritait d’être heureuse, ainsi que son frère. Connie avait bien compris qu’il ne pourrait pas lui apporter ce bonheur et qu’il fallait qu’il laisse cette place à quelqu’un d’autre. Même si cela faisait mal et qu’il aurait besoin de temps pour passer à autre chose, pour inclure la possibilité de rencontrer quelqu’un d’autre.

Non. Je l’ai déjà tenté et j’ai tout fait foirer. Je prendrais pas le risque de la faire souffrir à nouveau.

Sans doute était-il un peu trop catégorique dans sa manière de répondre, mais il était sincère. Il n’avait pas envie de reproduire le même schéma que la dernière fois, de se renfermer à nouveau sur lui-même parce qu’il n’arrivait pas à gérer la situation. Surtout qu’il ne savait justement pas comment il allait gérer tout ça. Le mieux pour Connie était sans doute qu’il garde ses distances avec Belly.