(ELENA) à s'demander "qu'est-ce qui existe au ciel ?"

Psyché, Ampelus. Pour l’instant, tu es toujours Ampelus. Depuis ton arrivée ici, tu as réussi à changer quelques fois d’apparence, mais jamais sans que tu ne le désires. Alors, bien sûr, tu as quelques collègues dans la confidence de cette double existence, bien que personne ne semble prendre conscience d’à quel point, pour toi, c’est une véritable malédiction de ne pas être toi. De ne pas pouvoir te montrer à Eros comme tu le voudrais. Tu soupires. De toute façon, voilà bien quelques temps que tu es toujours Ampelus aux yeux des autres et que tu n’as pas changé quoi que ce soit. Comment aurais-tu pu ? Même Eros ne sait pas te reconnaître derrière le déguisement de sa mère, alors à quoi bon forcer, n’est-ce pas ?

Tu soupires, assise à l’accueil de l’hôtel où tu travailles, les yeux rivés sur l’horloge. Tu aimerais que la journée soit déjà finie. Pouvoir aller voir Eros, essayer encore une fois, sans lui dire que tu es exactement, de le lui faire comprendre. Ou, à défaut, même si cette idée te brise complètement le coeur, l’aider à aimer Ampelus, même si tu n’es pas certaine que cette condition puisse satisfaire le maléfice d’Aphrodite et, ainsi, dévoiler ta vraie identité. La perspective de rester Ampelus toute ta vie n’est pas non plus désagréable. De la sorte, tu sais qu’aucune de tes soeurs ne serait en mesure de te retrouver et de t’identifier, si c’est pour implanter les mauvaises idées dans ta tête. Mais leur en veux-tu vraiment ? Tu n’es pas certaine, tu sais que votre vie n’a pas toujours été simple. Même s’il semble que dans le royaume des mortels vous soyez beaucoup plus arriérés qu’à l’Olympe et qu’ici, à Nemaia, la vie n’est pas toujours simple, même sans toute cette nouveauté. Et la jalousie de votre mère quant au fait que, toutes les trois, vous soyez plus belle qu’elle, ça n’a rien de viable dans cette vie ou dans une autre. Tu soupires quand, enfin, ta collègue vient vers toi et te confie qu’elle va prendre ta suite et que, vu la tête que tu tires, tu peux partir plus tôt, elle ne dirait rien. Tu aimes bien Janet. Elle est particulière, mais elle te soutient toujours, quelle que soit la raison. Tu lui adresses un sourire reconnaissant, dépose tes lèvres sur le haut de son crâne et, en l’espace de trois minutes chrono, tu rassembles tes affaires et t’enfuis quand l’aiguille rejoint l’heure exacte à laquelle ta journée est supposée t’achever. Euh non, pardon, s’achever. Ceci n’est pas une faute de frappe du narrateur, mais bien un lapsus.

Tu hésites un instant avant de te résoudre à ne pas aller chercher Eros. Ce serait étrange, non ? Au lieu de quoi, tu trouves une sorte de fontaine, autour de laquelle les gens ne s’alignent pas, sans doute sans voir à quel point le lieu est beau. Tu t’asseoir à son rebord et soupires, en jouant avec un drachme, dont tu ne t’es pas séparée, même sur l’Olympe.

- Ah, mes dieux ! Si seulement je pouvais faire un voeu. Ce n’est pas une coutume très courante, mais ça existe totalement ces fontaines où l’on lance une pièce de monnaie en guise d’offrande pour qu’une divinité quelle qu’elle soit vous accorde une bénédiction. Toi, tout ce que t’espères, c’est qu’Eros finisse par te pardonner, pour que cette malédiction en finisse.

@Elena D. Kythe

Il ne restait plus que quelques jours avant que le nouvel album d’Elena ne fasse sa grande sortie. Quelques jours qu’elle essayait toujours de prendre pour se reposer, pour penser à autre chose, sans jamais arriver véritablement à le faire. Chaque nouvelle sortie était une source de stress, la partie la moins agréable de son travail en soi. A chaque fois, elle se demandait si le public allait apprécié, si elle avait bien fait de mettre certaines chansons dans l’album, si elle avait bien fait d’oser partir sur quelque chose d’un peu différent. Des questions qu’elle se posait à chaque fois, et particulièrement pour celui-ci, où elle s’était bien plus livrée dans ses textes que dans les précédents.

Après avoir passé plusieurs heures à tourner en rond chez elle, la blonde avait ressenti le besoin de sortir prendre l’air. Sans objectif précis, la fille d’Apollon voulait simplement profiter du temps éclaircit qui était encore présent à Nemaia. L’hiver approchait, l’automne avait déjà commencé à faire son petit bout de chemin et à colorer les arbres. Malgré le fait qu’Elena soit la fille du dieu du Soleil, l’automne était justement sa saison préférée. La fraîcheur, les couleurs qu’on pouvait trouver dans la nature, avaient quelque chose d’apaisant. Elle s’était rendue à ce petit espace dans la ville d’Arileon où se trouvait une fontaine. Elle s’y était d’ailleurs déjà plusieurs fois installée pour écrire ses chansons. La beauté du lieu et l’agitation environnante avaient quelque chose d’inspirant. Elle fut d’ailleurs quelque peu étonnée d’y découvrir une femme assise à son bord. Encore plus étonnée de la voir avec un drachme entre les doigts, évoquant ces dieux qui lui étaient tant familiers, à elle aussi.

« Vous risquez d’attendre longtemps avant que quelqu’un l’exauce. »

Peut-être n’aurait-elle pas dû aborder la jeune femme, mais sa réflexion l’avait interpellée. Elena s’était de nombreuses fois retrouvée dans ce même cas, à espérer que les dieux - son père particulièrement - écoutent ses prières et lui viennent en aide. Elle avait beaucoup perdu avec cet espoir et pas seulement son temps. Également des personnes à qui elle tenait et qu’elle ne reverrait probablement jamais.

« Excusez-moi. C’est juste que je connais bien les dieux et que je sais qu’ils ont tendance à être particulièrement égoïstes. »

Elena s’était elle aussi assise sur le bord de cette fontaine. Son regard s’était posée sur le drachme que tenait la jeune femme. Elle aussi avait conservé quelques-unes de ces pièces qu’elle rangeait dans une boite de son appartement. Un souvenir de son passé qui lui était particulièrement inutile ici. Elle ne savait même pas pourquoi elle les avait gardée après toutes ces années. Sans doute un élan de nostalgie.

Qui que soit le dieu qui t’accordera ce voeu absolument impensable - sauf peut-être Aphrodite, qui estimerait sans doute que tu triches éhontément, et à raison - tu espères qu’il est là, qu’il t’écoute. Et que les choses avec Eros se calment et s’arrange. L’espoir fait vivre, comme on dit, et dans ton cas t’espère qu’il te donnera l’oxygène dont tu as besoin pour continuer de respirer sans le moindre trouble. Un drachme. Ce n’était peut-être pas la meilleure monnaie en ce lieu, mais elle ne voyait pas d’autre solution. Un billet de ce monde lui paraissait si trivial et mouiller du papier n’était pas non plus la solution miracle, elle en était persuadée.

Sous le coup de la surprise, Psyché sursauta violemment en entendant une voix derrière elle. Elle ne l’avait pas vu venir et les coins suffisamment déserts pour qu’elle pense rester seule un moment. Mais non, elle avait visiblement volé le repère de quelqu’un d’autre. En tournant la tête elle l’observa un instant. Blonde aux yeux bleus, d’une beauté à couper le souffle. Elle aurait pu être une déesse selon les critères humains que Psyché connaissait et que l’Olympe lui avait montré autrement. Mais elle ne ressemblait en rien à ceux qu’elle avait pu croiser là-bas. Ni Perséphone ni rien. Sauf peut-être un léger air d’Artemis et de son jumeau maléfique. Pour le peu qu’elle en savait, du moins.

- Qui vous dit que je compte attendre ? Demanda-t-elle d’une petite voix douce, en retenant ses lèvres de s’étirer, geste qu’elle faisait toujours malgré elle et dont elle ne voulait pas pour l’instant. L’amertume dans la voix de la blonde semblait pointer le bout de son nez quoi qu’elle en dise, alors elle laissa son interrogation en suspens.

Elle aussi, elle connaissait les dieux, et elle n’était pas du tout du même avis que cette nouvelle venue. Au contraire. Mais peut-être était-elle juste aveuglée par son amitié pour Persephone et son amour pour Eros. Alors elle haussa les épaules.

- Peu importe. Je sais qu’il est impossible que ce voeu soit exaucé. C’est pour ça que je n’en fais pas. Cette fois, le sourire étira ses lèvres, mais toujours tristement. Elle savait que c’était impossible. Aphrodite s’y opposerait. Et tous ceux qui veulent pas s’attirer son courroux avec. Vous semblez avoir des choses à leur reprocher.

Elena connaissait bien ce regard pour l’avoir déjà croisée en regardant son propre reflet. Cet espoir d’être enfin entendu, qu’un miracle se produise pour réparer toutes les pertes, essuyer toutes les larmes. Elle l’avait eu pendant un bon bout de temps avant de se rendre compte que cet espoir était vain, avant de se rendre compte qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même et sa propre volonté d’affronter cette vie qu’elle n’avait aucunement désirée. Et on pouvait dire qu’aujourd’hui, elle avait pris une belle revanche. Même si la perte de ses proches l’affectait toujours, elle avait réussi à en faire une force qu’elle retranscrivait dans chacune de ses compositions. Ces mêmes compositions qui lui permettaient de vivre aujourd’hui, de transmettre sa passion et ses textes qui, elle l’espérait, parlaient à d’autres personnes. C’était sans doute toutes ces choses qui l’avaient poussées à aborder cette jeune femme. Cet espoir toujours présent que sa voix, ses paroles, pouvaient venir en aide à d’autres personnes.

« Vous avez l’air d’espérer quelque chose. »

Sans doute n’était-elle pas obligée de le dire, mais c’était une façon pour elle de signifier qu’elle comprenait. Peut-être pas à la même échelle, peut-être pas non plus pour les mêmes raisons, mais elle comprenait. Les années avaient beau passer, Elena n’oubliait pas ce qu’elle avait ressenti à une certaine époque. Elle ne voulait pas l’oublier, parce que tous ces souvenirs montraient également le chemin qu’elle avait parcouru et à quel point elle avait pu évoluer. Bien sûr, elle avait sans doute encore tout un tas de choses à apprendre. Et peut-être bien que cette conversation qui venait juste de débuter serait enrichissante pour elle.

« Rien n’est impossible. Faites vous confiance. Contrairement à ce que les dieux essayent de nous faire croire, on a pas besoin d’eux pour obtenir ce dont on a besoin. »

Une leçon qu’elle tirait de sa propre expérience, et qui montrait visiblement la rancune qu’elle pouvait avoir à leur égard. La remarque de la jolie brune avait fait mouche. Parce que oui, Elena avait de nombreuses choses à leur reprocher, en particulier à son père. L’abandon, les guerres, l’aide espérée qui n’était jamais arrivée. La liste était bien longue.

« J’ai placé beaucoup d’espoir en eux. En mon père, surtout. J’ai cru qu’il serait là quand j’en aurais besoin mais… Il a surtout brillé par son absence. »

D’où le fait qu’elle associait aux dieux un égoïsme particulièrement imposant. Ils couchaient avec des mortels, engendraient des enfants qui se retrouvaient en danger dès leur premier souffle. Mais ils ne faisaient rien pour les protéger. Du moins, ils se voilaient la face, à leur faire des cadeaux, à leur accorder des faveurs, mais sans jamais réellement agir, dans le fond.

Elle n’avait aucune envie de dévoiler le fond de sa pensée, surtout pas à une inconnue. La perspective de se servir de quelqu’un comme d’un confident sans qu’il ou elle ne l’ait demandé ne plaisait pas vraiment à Psyché. D’autant qu’elle ne voulait surtout pas déranger. Elle se sentit coupable, l’espace d’un instant, d’avoir laissé paraître ses espoirs sur son visage. Mais la culpabilité s’évapora en un instant. Au lieu de quoi, elle fut secouer d’un ricanement étouffé.

- N’est-ce pas ce que nous faisons tous ? Sans doute pas, à vrai dire, mais c’était un moyen pour elle de ne pas risquer de faire peser quoi que ce soit sur la blonde en face d’elle. C’était peut-être stupide comme technique, mais elle s’y faisait. N’était-elle pas présentée à tout le monde comme une nymphe que peu - ou plutôt aucun- n’arrivaient à identifier comme étant un déguisement, une métamorphose qui cachait sa vraie nature ?! Elle soupira et ferma les yeux un court instant avant de les retourner vers la blonde. Vous avez raison, malheureusement.

Mais elle ne pouvait pas parler d’Eros, elle ne pouvait pas, quand elle était Ampelus, dire qui elle était vraiment, sans briser la promesse faite à Aphrodite, incapable de dire quelles en seraient les conséquences.

Elle se tenta à sourire, mais seul une grimace triste parcourut son visage.

- Il ne s’agit malheureusement pas de moi. Mais comment lui dire qu’il s’agissait d’un dieu, justement ? Cette jeune femme avait l’air sacrément remontée contre les dieux, quelles qu’en soient les raisons, et Psyché réalisa vite que ce n’était pas forcément une bonne chose de parler de son amour d’un dieu et de son affection pour une déesse, qui était elle-même responsable de son malheur - en plus de Psyché elle-même, bien entendu. Votre père ? Venait-elle de dire qu’elle était fille d’un dieu si ce n’est de deux ?! Elle était donc une déesse ? Mais ! Peut-être qu’elle pourrait l’aider ! Psyché se reprit et inspira. Elle ne pouvait pas être une déesse, pas à part entière, ou alors elle parlait des Olympiens, ou d’une catégorie de dieux dans laquelle son père entrait parfaitement. Il n’y avait que ça. Avec un petit sourire, Psyché lui répondit : Il vous a peut-être fait un cadeau inestimable. J’aurais préféré que mes parents ne soient pas dans ma vie si c’était pour me la compliquer comme ils l’ont fait. Ma mère, notamment. C’était la première fois qu’elle disait cela à voix haute. Sa mère, dont les raisons d’avoir des enfants échappaient à Psyché, puisqu’elle détestait chacune de ses filles pour leur beauté, et particulièrement sa plus jeune, Psyché…

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